Image corporelle positive
De la lutte contre le miroir à la réconciliation avec soi
Un matin, la lumière de la salle de bain se faufile entre les rideaux
Le visage apparaît, puis une petite voix commence son inventaire. Ici, un détail à gommer. Là, une ombre à effacer. L’instant de rencontre avec soi se mue en examen. Pourtant, l’image corporelle n’est ni un miroir fidèle ni une photographie neutre. Elle est une construction, patiemment assemblée par le cerveau, à partir de sensations internes, de souvenirs, d’influences culturelles et des comparaisons glanées au fil des écrans. Elle se renforce, s’altère, se répare aussi. L’objectif de cet article est simple : comprendre ce qui façonne notre regard sur le corps, déployer des outils concrets pour l’apaiser, et reprendre ce que les normes ont parfois confisqué : la possibilité d’un lien vivant, nuancé, respectueux avec soi.
Ce que le miroir ne dit pas
Quand on parle d’image corporelle, on pense souvent à la surface : silhouette, peau, traits. En réalité, trois dimensions se tissent. La perception, d’abord, c’est-à-dire ce que nous ressentons et interprétons ; la dimension cognitive, ensuite, où se logent nos croyances et nos biais ; enfin, la dimension affective, cet orage ou cette accalmie qui monte dès que l’on croise son reflet. Rien n’y est figé. Parce qu’elle est apprise, cette image peut évoluer. Certains profils neuro-atypiques, plus sensibles au flux sensoriel ou aux décalages intéroceptifs, connaissent des oscillations marquées : le corps vécu de l’intérieur et le corps vu de l’extérieur racontent parfois deux histoires différentes. Cela peut dérouter. Mais c’est aussi une porte : écouter le corps au présent, ajuster la narration, quitter l’injonction du « je devrais être » pour un « voilà ce que je traverse aujourd’hui ».
Un exercice bref aide à entrouvrir cette porte. Il ne s’agit pas de s’évaluer, mais d’écouter. On ferme les yeux, on repère les appuis, on suit la respiration sous la main posée sur le ventre. On laisse dériver l’attention vers les zones neutres, puis vers celles qui vont bien, si modestes soient-elles. Quand on rouvre les yeux, le miroir est le même ; l’atmosphère, souvent, ne l’est plus. Répété les jours “sans”, ce geste redonne un minimum de pouvoir d’agir là où la critique semblait tenir la main.
Normes esthétiques : l’influence invisible
Les normes s’imposent sans prévenir. Un fil d’actualité saturé d’images filtrées, un commentaire léger sur un « avant-après », et la comparaison s’installe, infime mais tenace. L’idéalisme esthétique actuel ne tient pas tant à un modèle unique qu’à sa prolifération : à force d’être partout, il paraît naturel. Pourtant, il est étroit, souvent inatteignable, parfois nocif. Une exposition plus régulière à des corps variés, à des récits de vie qui ne rabattent pas la valeur d’une personne sur ses contours, renverse peu à peu l’angle de vue. La démarche « body positive » ne gomme rien d’un revers de manche ; elle élargit la palette. Elle invite à se demander : qu’est-ce qui, en moi, s’apaise quand je cesse de réduire mon existence à une mesure, à un ingrédient, à un chiffre ?
Ce travail n’a rien d’une charge morale. C’est une hygiène de l’attention. Diversifier les images auxquelles on s’expose, apprendre à repérer une retouche, interrompre le défilement lorsqu’il s’envenime, ne relèvent ni de l’angélisme ni du déni. C’est une politique intime : je choisis de nourrir mon regard autrement. Et je l’entraîne.
Quand l’image devient obsession : comprendre la dysmorphophobie
Parfois, la préoccupation pour un détail anatomique franchit un seuil et envahit tout. Le défaut perçu est minime, voire invisible pour autrui, mais la souffrance, elle, est bien réelle. Les rituels se multiplient : vérifier, cacher, éviter. Le travail social se rétracte. La dysmorphophobie n’est pas une coquetterie ; c’est un trouble psychique qui peut conduire à des isolements sévères, et qui se soigne. Les thérapies cognitivo-comportementales constituent une première ligne de traitement, souvent associée, selon les cas, à une prise en charge médicale. La clé, ici, n’est pas de convaincre la personne que « tout va bien », mais de l’aider à désamorcer l’engrenage : repérer les pensées qui s’emballent, réévaluer leur crédibilité, redéployer des comportements compatibles avec une vie désirée.
Imaginons le fil d’une pensée qui piquait, hier encore : « Tout le monde ne verra que ma cicatrice. » On peut apprendre à lui faire face sans se laisser happer. D’abord, on observe l’émotion et son intensité, comme un météorologue note une rafale. Ensuite, on part en quête d’indices : qu’est-ce qui, objectivement, confirme ? qu’est-ce qui infirme ? Puis on reformule, moins tranchant, plus juste : « J’ai des insécurités. Elles ne définissent pas ma valeur. » Répétée, cette gymnastique calme l’alarme. Elle ne maquille pas la réalité ; elle lui rend ses nuances.
Penser son corps autrement : des TCC à l’imagerie guidée
Nos pensées rapides tracent souvent des autoroutes. Le « tout ou rien », le catastrophisme, la personnalisation les bordent. Les TCC proposent d’installer des ronds-points : ralentir, distinguer fait et interprétation, faire demi-tour si la voie est impraticable. Un carnet de pensées suffit pour amorcer l’apprentissage. On y consigne la situation, l’émotion, la pensée réflexe, puis une version alternative plus équilibrée. Avec le temps, les voies secondaires s’ouvrent.
L’hypnose conversationnelle prolonge ce travail sur un autre mode. Il ne s’agit pas de s’arracher à la vigilance mais de déplacer le foyer de l’attention, assez longtemps pour reconfigurer des associations.
On imagine, par exemple, le corps comme un allié qui a permis, un jour, une marche, une étreinte, un souffle retrouvé. On ancre cette scène dans une sensation précise : la chaleur des paumes, la détente des épaules, le rythme de la respiration. Les ancrages ainsi construits servent de points de retour lorsque la critique intérieure hausse le ton. Ils n’effacent pas la lucidité ; ils la rendent habitable.
Vers une bienveillance corporelle
La bienveillance corporelle n’est ni complaisance ni indifférence. C’est une posture active : je m’engage à traiter ce corps avec respect, surtout quand il m’agace. L’approche ACT (acceptation et engagement) propose un geste très simple : faire de la place à l’émotion, puis choisir une action alignée avec ses valeurs.
La compassion-focused therapy entraîne cette voix plus douce qui, au lieu de signaler chaque imperfection comme un scandale, rappelle qu’un humain reste un humain, avec ses aspérités et sa dignité. La pleine conscience, elle, ramène au présent : c’est ici que la respiration a lieu, c’est ici que les jugements se posent, et c’est ici qu’ils peuvent être regardés sans y adhérer.
Une écriture peut aider à cristalliser ce choix.
On s’adresse à son corps comme à un compagnon de route : « Je te critique souvent, je te demande beaucoup, je t’écoute peu. Je veux apprendre à faire autrement. » On laisse parler les différentes « parts » qui s’agitent : la protectrice, la perfectionniste, la vulnérable. Puis on conclut un pacte minimal : davantage d’écoute, des pauses régulières, quelques gestes concrets de soin. Les jours suivants, on relit. On note ce qui s’apaise, ce qui résiste. Le texte devient un baromètre.
Bouger pour se relier, pas pour se punir
Le mouvement réconcilie quand on cesse d’en faire une punition. On y entre par le plaisir et la fonctionnalité, non par la dette. Bouger pour sentir l’équilibre, la souplesse, le souffle : chaque séance devient l’occasion de remarquer ce que le corps permet, plutôt que ce qu’il n’a pas coché.
Cette perspective augmente l’estime physique et tient dans la durée. À l’inverse, un entraînement dicté par l’apparence, sous haute surveillance intérieure, dégrade souvent le lien au mouvement.
Un programme progressif, sur deux mois, installe des repères.
La première semaine, de courtes séquences à domicile suffisent ; elles dédramatisent le départ.
La suivante, on choisit un micro-mouvement de bien-être à répéter sans effort héroïque.
Plus tard, on glisse une séance en pleine conscience : marche lente ou yoga, en prêtant attention aux appuis et au souffle. Après chaque pratique, on nomme l’émotion dominante et on la note, simplement.
On partage ensuite une activité non compétitive avec un proche, avant d’explorer un cours encadré doux qui intriguait depuis longtemps. Peu à peu, un rituel hebdomadaire se dessine : quinze minutes d’étirements le dimanche matin, par exemple. Au terme des huit semaines, on écrit un court bilan sensoriel et émotionnel ; on célèbre ce qui a bougé, même modestement. C’est ainsi que l’élan s’enracine.
Quand et comment consulter ?
Il faut demander de l’aide quand la préoccupation pour l’apparence occupe tout l’espace, réduit les sorties, abîme l’intimité ou empoisonne le travail. Une prise en charge fondée sur les preuves s’organise alors. Les TCC fournissent des outils structurés : restructuration des croyances, expositions graduées au miroir, aux photographies, aux lieux redoutés comme la piscine. L’hypnose offre des appuis quand l’anxiété crève le plafond ; elle installe des ancrages et des images ressources qui permettent de tolérer l’imperfection perçue. La remédiation cognitive, en travaillant la flexibilité mentale et le décentrement attentionnel, aide à cesser d’interpréter chaque regard comme un verdict. La mindfulness et l’ACT améliorent la tolérance à la détresse et ramènent à ce qui compte, ici et maintenant. Enfin, lorsque l’alimentation devient le théâtre de la lutte avec soi, une relecture des signaux de faim et de satiété, soutenue si besoin par un accompagnement diététique, rétablit une relation plus juste au corps.
La bonne nouvelle : ces approches se combinent et s’ajustent. Il ne s’agit pas de « réussir » une thérapie comme on coche une tâche, mais d’installer une nouvelle manière d’être au monde, moins sous la férule de la honte, plus au service de sa vie.
Trois questions fréquentes, sans fard
Qu’appelle-t-on « image corporelle positive » ? Ni un optimisme forcé ni une indifférence impassible. Plutôt une relation réaliste et apaisée à son corps : reconnaître ses limites, savourer ses forces, ne pas résumer sa valeur à ses contours. Cette position ne se décrète pas ; elle se cultive.
Comment savoir si le malaise devient pathologique ? Le seuil se franchit quand la préoccupation se fait envahissante : pensées intrusives, rituels, évitements, isolement, humeur sous la coupe de la glace ou de la balance. Si la vie se rétrécit, il est temps de consulter. On n’attend pas que la souffrance calcifie.
L’hypnose peut-elle aider ? Oui, surtout lorsque la peur grimpe dès qu’il est question d’exposition. En travaillant des images apaisantes et des ancrages sensoriels, on rend la progression tolérable. L’hypnose ne remplace pas le travail cognitif ; elle lui offre un terrain plus souple.
S’auto-situer avec délicatesse
Plutôt qu’un questionnaire à cocher, essayez une courte exploration honnête. Sur une semaine, observez le miroir, les photos, les vêtements choisis pour cacher, le temps passé à vous comparer, l’impact sur l’humeur et les projets. Notez si le regard d’autrui vous paralyse, si vous remettez des activités à plus tard « quand vous aurez changé ». À la fin, interrogez le retentissement : discret, modéré, significatif ? Cette brève photographie ne remplace pas un diagnostic, mais elle indique une direction. Si le retentissement est important, l’accompagnement peut faire une vraie différence.
Questionnaire d’auto-dépistage (12 items)
Êtes-vous concerné·e par une souffrance liée à votre image corporelle ? Pour le savoir, répondez aux affirmations suivantes en indiquant la fréquence à laquelle vous les éprouvez, sur une échelle de 0 à 3 (0 = jamais, 1 = rarement, 2 = parfois, 3 = souvent).
- Je me sens mal à l’aise quand je me regarde dans un miroir.
- Je me compare souvent physiquement aux autres.
- Je pense que mon corps n’est pas normal.
- J’évite certaines activités à cause de mon apparence (plage, sport, photo…).
- Je ressens de la honte à propos de certaines parties de mon corps.
- Je me cache sous des vêtements larges ou sombres pour dissimuler mon corps.
- Mon apparence me préoccupe au point de perturber mon quotidien.
- Je ressens un besoin compulsif de me peser ou de mesurer mon corps fréquemment.
- Mon humeur dépend fortement de la façon dont je me perçois physiquement.
- Je redoute intensément les regards des autres sur moi.
- Je pratique des comportements extrêmes pour modifier mon corps (régimes draconiens, excès de sport, etc.).
- Je me sens en décalage entre mon apparence physique et la personne que je suis à l’intérieur.
Interprétation des scores
- Interprétation des scores : Additionnez vos réponses (score total sur 36).
- 0–12 : Votre rapport au corps est plutôt apaisé ou fluctuant dans une zone confortable. Vous avez sans doute quelques complexes (comme tout le monde) mais ils ne vous empêchent pas de vivre sereinement. Continuez à cultiver cette bienveillance envers vous-même !
- 13–24 : Une insatisfaction modérée est présente. Vous avez des jours « avec » et des jours « sans ». Soyez attentif·ve à l’impact que cela a sur votre quotidien : si vous renoncez occasionnellement à des sorties ou si votre humeur dépend un peu trop du miroir, pensez à mettre en place certains exercices proposés dans l’article pour éviter que cela ne s’installe.
- 25–36 : Votre souffrance vis-à-vis de votre corps est significative. Elle occupe une place importante dans votre esprit et affecte probablement divers domaines de votre vie. Il est vivement conseillé de consulter un professionnel (psychologue, psychothérapeute, médecin) pour vous accompagner. Des solutions existent : vous n’êtes pas seul·e et vous méritez de l’aide.
(Ce questionnaire est indicatif et ne remplace pas un diagnostic professionnel. Il vise à vous aider à évaluer la situation et, si besoin, à vous orienter vers un soutien adapté.)
Quand (et pourquoi) consulter ?
Changer de regard sur son corps ne revient pas à se raconter des histoires. C’est, au contraire, accepter d’en finir avec l’histoire unique. La vôtre a d’autres chapitres : ceux où l’on respire un peu mieux, où l’on ajuste la lumière, où l’on marche parce que marcher fait du bien, où l’on ne confond plus l’apparence et la valeur. Ce chemin se parcourt par petits gestes, répétés, soutenus. Il n’exige pas de perfection pour commencer ; il demande seulement une décision modeste et tenace : prendre soin de soi comme d’un être digne, dès aujourd’hui.
Dépister et traiter ces troubles associés
Quand l’image corporelle devient une souffrance persistante, un frein à la vie sociale, intime, professionnelle, ou un facteur d’isolement, consulter devient pertinent.
Approches thérapeutiques validées :
- TCC : restructuration cognitive, exposition, acceptation.
- Hypnose : travail sur l’image mentale, dissociation du jugement.
- Remédiation cognitive : améliorer la flexibilité mentale.
- Mindfulness & ACT : tolérance à la détresse, ancrage.
- CNV corporelle : restaurer le dialogue avec soi.
- Alimentation émotionnelle : relier rapport au corps et alimentation.
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Sources :
[1] [3] [4] [5] [6] [7] [8] Impact of body-positive social media content on body image perception | Journal of Eating Disorders | Full Text
https://jeatdisord.biomedcentral.com/articles/10.1186/s40337-025-01286-y
[2] Converging paths: Autistic traits, body image concerns, and disordered eating symptoms in women – PubMed
https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/39983628/
[9] [12] Body dissatisfaction, stigma and eating disorders: a scoping study on the role of compassion focused therapy | Journal of Eating Disorders | Full Text
https://jeatdisord.biomedcentral.com/articles/10.1186/s40337-025-01292-0
[10] [11] Investigating the prevalence of body dysmorphic disorder among Jordanian adults with dermatologic and cosmetic concerns: a case–control study | Scientific Reports
[13] Mindfulness-based interventions for body image dissatisfaction among clinical population: A systematic review and meta-analysis – PubMed
https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/38097499/
[14] [15] Relationship Between Exercise and Positive Body Image | Recreation & Physical Education
https://recreation.duke.edu/story/relationship-between-exercise-and-positive-body-image/













